de(s)générations 29

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Hospitalités

Rédacteurs : Philippe Roux et Gaëlle Vicherd

Sommaire

  • Etienne Balibar : Pour un droit international de l'hospitalité
  • Rencontre avec Majd, Mustapha Suaré et Soraya Kassi : À nos amis
  • Christiane Vollaire : Chez qui sommes-nous ? Des processus d'expropriation
  • René Schérer : Ici et partout (entretien avec Alexandre Costanzo)
  • Georges Didi-Huberman : À l'école de l'hospitalité
  • Récits de Calaisiens : Calais, février 2017 - Colette Youinou
  • Marie-José Mondzain : L'ordre - Essai cinématographique de Jean Daniel Pollet

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Caractéristiques techniques

Date de publication : janvier 2019
Format : 14,8 x 21 cm - 96 pages
ISBN : 978-2-35575-268-1
ISSN : 1778-0845

Edito

Ces dernières années, des millions de personnes ont dû quitter les lieux où elles ont appris à vivre. Leur nombre ne fera que s’accroître dans les temps à venir. La revue De(s)générations souhaite consacrer deux numéros à la notion d’hospitalité. Nullement question ici d’humanitaire, encore moins de charité, mais bien d’un choix politique décisif. Une nécessité logique, une intelligence collective indispensable.
De(s)générations souhaite ouvrir un espace à ceux qui pensent que l’hospitalité est la culture même, qu’elle est, avant d’être une pensée, un acte, une rencontre et une reconnaissance de l’autre. Plus encore, « l’étranger porte et pose la question […]. Parfois, l’étranger c’est Socrate lui-même, […] l’homme dérangeant de la question, l’homme de la question maïeutique(1)» Nul doute que pour Derrida l’étranger est constitutif du philosophique. Sans lui, pas de pensée possible. Dans ce
numéro et le suivant, des exilés, des anonymes hospitaliers, hommes et femmes désobéissants qui accueillent et cachent, auront ici la parole, au même titre que des artistes, militants et intellectuels qui s’engagent à leurs côtés.
À la suite des numéros La fin des crispations identitaires, Violence et politique, Penser avec l’Afrique, Horizon(s), Être des allié.e.s, nous pensons que c’est avec ceux qui arrivent que pourront être réamorcées des pensées et des pratiques d’émancipations nouvelles. En effet, comment envisager de faire face aux conséquences destructrices d’un capitalisme mondialisé sans une conception cosmo-politique de la citoyenneté ? Et pourquoi est-ce si difficile pour les pays riches de re-
connaître ceux qui fuient leurs pays et les causes qui les poussent à partir ? La chance d’une reformulation des émancipations ne peut que venir d’eux et avec eux. Les refuser, les « emmurer démocratiquement(2)», c’est aller dans le sens de ceux qui ont choisi la rétractation nationaliste et le ressentiment.
Une hypothèse : ceux qui viennent ou cherchent à venir dans les pays riches nous re-viennent. Des spectres, des revenants, disent Maria Kourkouta et Niki Giannari(3), qui traversent les murs et les frontières. Et si nous ne voulons pas les voir, c’est qu’ils sont l’incarnation du refoulé de l’expansion économique de l’Occident capitaliste sur le monde. Ils sont la part vivante et bien réelle de ce que le grand récit libéral, progressiste et civilisateur des démocraties occidentales tente de manière incessante et obstinée de nier. Le pétrole, les terres rares, les aliments, les marchandises à bas coût viennent bien de quelque part. Les bombes que nous fabriquons atterrissent bien quelque part. Le dioxyde de carbone que nous émettons ne s’arrête pas, lui non plus, aux frontières.
« Après tout, les réfugiés ne font que revenir. Ils ne “débarquent” pas de rien ni de nulle part. Quand on les considère comme des foules d’envahisseurs venues de contrées hostiles, quand on confond en eux l’ennemi avec l’étranger, cela veut surtout dire que l’on tente de conjurer quelque chose qui, de fait, a déjà eu lieu : quelque chose que l’on refoule de sa propre généalogie. Ce quelque chose, c’est que nous sommes tous les enfants de migrants et que les migrants ne sont que nos parents revenants, fussent-ils “lointains” (comme on parle des cousins(4))». En disant ceci, Georges Didi-Huberman rend caduque cette identité pure qui est la source de tant de maux ignobles et essentialistes.
Cette tragédie entérine l’idée, déjà présente depuis longtemps dans notre revue, de l’urgence de retracer de nouvelles lignes de front idéologiques ainsi que d’inventer de nouvelles modalités de lutte. Pour cela, il est absolument nécessaire de « décoloniser nos concepts(5)» à commencer par celui d’universel, cette vieille peau qui reste le paravent de la domination économique de l’Occident sur le monde. Notre revue est, entre autres, une revue de militantisme intellectuel et nous tenons à dédier ce numéro à des militants de terrain, souvent anonymes, qui prennent des risques en hébergeant et en défendant la dignité des exilés. Comme nous croyons à la concomitance des luttes, nous dédions également ce numéro aux amis militants, syndicalistes, autonomes, environ 4 000 personnes qui ont été condamnées à des peines diverses suite aux combats menés contre la Loi El Khomri.
Nous dédions également ce numéro à Étienne Tassin, intellectuel militant de la toute première heure qui s’est engagé avec grande conviction notamment auprès des migrants de Calais, auteur d’Un monde commun. Pour une cosmopolitique des conflits, Seuil, 2003, et Le trésor perdu : Hannah Arendt, l’intelligence de l’action politique, Klincksieck, 2017.

Gaëlle Vicherd, Philippe Roux

(1) Jacques Derrida, De l’hospitalité, Paris, Calmann-Lévy, 2017.
(2) Wendy Brown, Murs. Les murs de séparation et le déclin de la souveraineté étatique, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009.
(3) Des spectres hantent l’Europe, film de Maria Kourkouta et Niki Giannari, 2016.
(4) Georges Didi-Huberman, Passer, quoi qu’il en coûte, éd. de Minuit, 2017, p. 31.
(5) La Composition des mondes, Philippe Descola, entretien avec Pierre Charbonnier, Flammarion, 2014.


DES-29

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Ont participé à De(s)générations n°29

Étienne Balibar, Georges Didi-Huberman, Éric Manigaud, Marie-José Mondzain, René Schérer, Christiane Vollaire, Colette Youinou